22.3.09

Archéologie d’un « sanctuaire de la Préhistoire » : histoire perdue, mémoire retrouvée (Hôtel de Chepy, Abbeville, 1859-1954)

Yann Potin
Archéologie d’un « sanctuaire de la Préhistoire » : histoire perdue, mémoire retrouvée (Hôtel de Chepy, Abbeville, 1859-1954)

Par testament daté du 25 mai 1861, Jacques Boucher de Perthes léguait à Abbeville sa demeure familiale ainsi que les collections, papiers, livres ou œuvres d’art qu’elle contenait – jusqu’aux ustensiles ménagers, « ce qui donnera par la suite […] un spécimen rare d’une cuisine du 19e siècle »… La fondation de ce « sanctuaire », à la fois personnel et municipal, dont l’originalité reste à évaluer à l’aune des pratiques contemporaines de la mémoire savante et littéraire, avait pour but, à l’image d’une fossilisation, de suspendre le temps dans un espace restreint. Il s’agissait de figer une atmosphère autant qu’un événement, de célébrer le berceau autant que la naissance, de ce qui n’est devenu que bien plus tard « la » Préhistoire. La sacralisation des lieux n’empêcha toutefois pas l’érosion des discours : l’œuvre imprimée du fondateur fut vendue à l’encan en 1874, moins de six ans après sa mort, par des héritiers contrariés par un gel patrimonial imposé.
Disparue sous les bombes qui pilonnèrent Abbeville le 20 mai 1940, la « capsule de temps » que constituait l’hôtel de Chepy est depuis lors l’objet d’une sorte de légende archéologique, toutefois accessible par les notes de travail de Léon Aufrère, recueillies au sein du « sanctuaire » au cours des années 1930. Devenu malgré lui le témoin d’un lieu, et non plus seulement le lecteur critique d’ une œuvre, Aufrère fut, au lendemain de la guerre, en tant que directeur des Antiquités préhistoriques de Picardie l’artisan de la refondation d’un nouveau Musée, inauguré en 1954, cinq ans avant le centenaire d’une reconnaissance qui ne fut pas célébré.
En confrontant effets de mémoire et d’oubli, successivement suscités par la préservation du monument, la réception de l’œuvre et les multiples manifestations visant à relever le souvenir du fondateur – érection d’une statue à Abbeville en 1908, centenaire de la découverte du coup-de-poing de Thuison en 1932, centenaire de la publication du premier tome des Antiquités Celtiques et diluviennes en 1949, cette communication se propose de revenir sur la fabrique des origines de la Préhistoire.