22.3.09

Science en exil – Le rôle des émigrés politiques dans la réception du darwinisme, la naissance de l’anthropologie et le début des recherches préhistor

Piotr Daszkiewicz
Science en exil – Le rôle des émigrés politiques dans la réception du darwinisme, la naissance de l’anthropologie et le début des recherches préhistoriques en Pologne

La deuxième moitié du XIXe siècle fut une période particulièrement difficile pour la science polonaise. Partagée entre trois puissances étrangères (Russie, Autriche et Prusse), la Pologne se situe alors au milieu d’une période de 123 ans (1795-1918) d’occupation. Une partie des institutions scientifiques est fermée en guise de répressions ; l’accès des Polonais aux autres institutions est administrativement réduit ; les collections et les bibliothèques sont pillées après chacune des insurrections. Dans une pareille situation, la science ne peut se développer que dans les périodes de politique de dégel des occupants ou grâce au mécénat privé. À partir de 1831, période dite de la Grande Émigration (après la défaite de l’Insurrection de Novembre), les exilés politiques jouent un rôle primordial dans la science polonaise. Une grande partie des activités et des institutions, interdites ou limitées dans le pays, se développent à l’étranger, principalement en France.
Sur le plan de la diffusion du darwinisme, les émigrés politiques ont joué un rôle d’autant plus essentiel que l’ichtyologiste Benedykt Dybowski (1833-1930), le plus important vulgarisateur des travaux de Darwin en Pologne, fut arrêté en 1864 par les autorités russes et condamné à 12 ans de travaux forcés en Sibérie. Plus généralement, c’est donc à l’étranger, en France et au sein de la Société d'anthropologie de Paris en particulier, qu’une science polonaise en exil s’est développée autour des questions d’évolution, d’anthropologie et de préhistoire.
Szymon Diksztajn (1858-1884), émigré à Paris, initia la traduction polonaise de The origin of species. Seweryna Duchińska (1816-1905) publia une série d’articles sur le darwinisme et la Société Anthropologique de Paris. Teofil Chudziński (1842-1897) et Izydor Kopernicki (1825-1891), proches collaborateurs de Paul Broca, sont considérés comme les fondateurs de l’anthropologie polonaise.
À la même époque, l’archéologie polonaise connaît un véritable tournant : la critique et la déconstruction du mythe romantique de la grandeur passée des Slaves, la naissance de recherches préhistoriques, la professionnalisation du métier d’archéologue, ainsi que la forte influence des sciences naturelles et plus particulièrement de la géologie et de la paléontologie. Les articles de Zofia Węgierska (1825-1869) sur les découvertes de Boucher de Perthes contribuent fortement à cet essor. Kopernicki est l’auteur du premier programme (1874) de recherches polonaises dans le domaine de la préhistoire ; il est aussi le premier à demander la protection des grottes « contre des dilettantes maladroits qui jouent à l’archéologie ». De fait, la Société d’Anthropologie et d’Ethnographie polonaise de Paris (1879) fut l’une des plus importantes institutions scientifiques polonaises du XIXe siècle.