22.3.09

Entre la « peur du singe » et l’affaire Altamira : Les débuts de l’archéologie préhistorique en Espagne (1859-1898)

José M. Lanzarote
Entre la « peur du singe » et l’affaire Altamira : Les débuts de l’archéologie préhistorique en Espagne (1859-1898)

Les années 1859-1898 constituent la période de la découverte et de la reconnaissance de la préhistoire en Espagne. Au niveau international cette période est caractérisée par la création du cadre conceptuel de la préhistoire dans un milieu contexte d’étroits échanges intellectuels entre les divers pays. L’Espagne a fait partie de ce processus, mais d’une manière parfois timide. En effet, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la communauté scientifique espagnole a surtout reçu et adapté les influences étrangères, comme par exemple la périodisation de la préhistoire, tout en apportant également quelques éléments au débat.
Du point de vue professionnel, ce sont des ingénieurs, comme Casiano del Prado, ou des naturalistes, comme Juan Vilanova y Piera, qui sont ceux qui ont mené les premières recherches préhistoriques en Espagne. En particulier, Prado a dirigé les fouilles du site de San Isidro, près de Madrid, un des premiers gisements paléolithiques identifiés en Europe. Prado avait visité les travaux de Boucher de Perthes dans les terrasses de la Somme, et lui aussi a reçu la visite de géologues français, comme L. Lartet et Verneuil, qui confirmèrent ses découvertes. Si, à cette époque, la découverte des sites de l’âge de la pierre n’ont n’a pas provoqué d’agitation particulière dans le grand public, en revanche la réception des idées de Darwin a très tôt suscité des polémiques et généré une ligne de fracture tant dans la communauté scientifique que dans la société. C’est à partir de 1868 que les idées évolutionnistes ont pu circuler librement en Espagne, après la révolution libérale qui a mis fin à la monarchie d’Isabelle II. Or, le problème s’est posé avec acuité en 1875 lorsque la diffusion du Darwinisme fut à l’origine d’une crise universitaire, au cours de laquelle quelques professeurs furent expulsés de l’université.
La préhistoire espagnole va acquérir une vraie notoriété internationale avec la découverte de la Grotte d’Altamira puis sa présentation en 1880, bien que les thèses de Sanz de Sautuola sur l’ancienneté des peintures soient alors rejetées par presque toute la communauté scientifique. Seul Vilanova, antidarwiniste convaincu, continua à défendre son authenticité. L’affaire Altamira montre dans quelle mesure la science espagnole souffrait de problèmes structurels : une faible institutionnalisation, une présence tardive dans les milieux scientifiques internationaux (desquels dépendait l’acceptation ou non des nouvelles découvertes), et des contradictions théoriques. Ces problèmes seront d’actualité dans la période suivante (1898-1936), caractérisée par l’établissement des structures de recherche, la professionnalisation historiographique et la création d’un cadre légal pour le développement de la préhistoire.