9.3.09

La question religieuse dans la première archéologie préhistorique 1859-1904

La question religieuse dans la première archéologie préhistorique 1859-1904
Fanny Defrance-Jublot


« Si ces maudits silex dans le sein de la terre
pouvaient être engloutis comme un fâcheux poison
Mais hélas il n’est pas un seul propriétaire
Qui dans son potager n’en rencontre à foison.
Chacun, quand il lui plaît, vient en toute licence
Discourir sur le loess, le limon et consorts,
Sur les silex taillés et la vieille faïence,
Devant de vrais savants, dignes de meilleurs sorts.
Celui-ci, sur un os, a cru voir une trace
Qui d’un outil tranchant est le signe certain
Cet autre vous soutient que le Mammouth vorace
A vu le premier homme et mangé dans sa main.
Certes je sais fort bien qu’il n’est pas inutile
De jeter quelque jour sur ces points ténébreux,
De rechercher si l’homme est ou n’est pas fossile,
Et si le renne agile a traîné nos aïeux.
Mais, devant un sujet d’aussi grande importance,
Il faudrait que chacun se laissât pénétrer
D’un très vif sentiment de son insuffisance
Et réfléchît sept fois avant que d’y entrer. »

Albert de Lapparent, Conseils à un jeune amateur de géologie, poème didactique composé à l’occasion des courses géologiques de l’Ecole des Mines, Paris, Librairie française et étrangère, 1867, 11 p.

Si la préhistoire n’a pas le « sentiment de son insuffisance », c’est parce qu’elle témoigne pour ses détracteurs d’une autonomie vis-à-vis du religieux et qu’elle consacre dans le sillage de la géologie un effritement manifeste des liens entre « traditions historiques » et récit chrétien des origines. La plume acerbe d’Albert de Lapparent, géologue de l’Ecole des Mines et ancien élève d’Elie de Beaumont, synthétise en quelques rimes les principaux motifs de la méfiance attachée au développement de l’archéologie préhistorique avant sa reconnaissance institutionnelle, dans les milieux catholiques et parfois scientifiques. Ces vers publiés en 1867, année de création des Congrès Internationaux d’Anthropologie et de Préhistoire, ont l’intérêt de regrouper des critiques diffuses, souvent sous-jacentes. Qu’ils soient catholiques, anticléricaux radicaux ou modérés, les argumentaires des préhistoriens se construisent souvent au regard de ces critiques, avec des reparties bien sûr assez variées. Nous pouvons partir de l’étude de ce poème pour analyser au sein des débats de la première archéologie préhistorique un sens partagé implicite lié aux questions religieuses. Nous analyserons le cas d’Adrien Arcelin, archéologue de Solutré, et de Gabriel de Mortillet dont les archives permettent d’éclairer quelques aspects de cette toile de fond liée aux questions religieuses.